Le développement de l’aéroport de Charleroi au regard des lignes directrices européennes en matière d’aides d’État
06 octobre 2014│ Question orale de V. SALVI au Ministre DI ANTONIO - Réponse disponible
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Chers Collègues,
Depuis le dépôt de ma question, l’actualité s’est quelque peu accélérée. En effet, mercredi dernier, 1er octobre, la Commission européenne a rendu sa décision concernant les aides octroyées par la Wallonie à l’aéroport de Charleroi et les relations commerciales entre Ryanair, BSCA et la Région.
Pour ce qui y est des avantages octroyés par le passé par BSCA à Ryanair, il semblerait donc (en schématisant) que la Commission ait finalement considéré qu’il ne s’agissait pas d’aides d’État mais bien que la Région et l’aéroport s’étaient comportés dans ce dossier comme l’aurait fait un investisseur privé. Quant à l’ensemble des aides octroyées durant la dernière décennie par la Région à BSCA, la Commission aurait finalement décidé de les autoriser. Seules les aides versées depuis avril 2014 (soit depuis l’adoption des nouvelles lignes directrices de la Commission en matière d’aides d’État pour le secteur aérien) seraient toujours litigieuses. Par ailleurs, la Commission demanderait aussi que les redevances de concession payées par BSCA soient dorénavant augmentées afin de réellement refléter les prix du marché …mais l’aéroport de Charleroi est-il bien en mesure de faire face à cette augmentation ?
Pour rappel, toute cette problématique de la conformité aux règles européennes des aides octroyées par la Région wallonne aux aéroports régionaux ou aux compagnies aériennes y opérant n’est pas nouvelle. Depuis plus de 10 ans, ce dossier est revenu régulièrement au-devant de la scène. On peut notamment se rappeler qu’en 2008 la Cour de Justice européenne avait annulé la décision de 2004 de la Commission déclarant illégales certaines aides wallonnes. Puis, qu’en 2012 la Commission avait toutefois relancé à nouveau une enquête élargie. Et en juillet 2013, elle demandait encore des précisions au Gouvernement quant au financement par la Région de nouveaux investissements à l’aéroport de Charleroi. Comme chaque fois, son objectif était alors de s’assurer que l’intervention programmée par la Région était bien conforme aux règles européennes de concurrence, notamment celles balisant les aides d’État.
Avec ces quelques exemples, on voit bien que ce serait une fameuse épine hors du pied, pour la Région et sa politique aéroportuaire, si vous me confirmez aujourd’hui les informations qu’on a apprises mercredi dernier. Les choix effectués depuis plus de 13 ans en faveur du développement économique volontariste des aéroports Charleroi et de Liège s’en trouveraient enfin totalement et légitimement confortés. Est-ce bien le cas ? Pouvons-nous désormais être pleinement rassurés sur la validité et la conformité de l’ensemble des mécanismes de soutien dont a pu bénéficier BSCA et/ou Ryanair ? Cette décision de la Commission concernant le passé est-elle bien définitive ?
Néanmoins, il resterait des interrogations sur le sort des aides octroyées depuis avril 2014, c.-à-d. depuis que la Commission a adapté ses lignes directrices sur la manière dont les États-membres peuvent soutenir les aéroports et les compagnies aériennes via des aides d’État. Avec ses 6,7 millions de passagers en 2013, l’aéroport de Charleroi tomberait en dehors de ces nouvelles lignes directrices et serait donc trop grand pour bénéficier de subsides régionaux. Les subsides versés depuis lors devraient donc être remboursés. Là encore, pouvez m’indiquer si ces informations sont exactes ? Les investissements prévus à l’aéroport de Charleroi peuvent-ils s’inscrire malgré tout dans le nouveau cadre posé par la Commission européenne ? Si ce n’est vraiment pas le cas, à combien se chiffreraient les montants ainsi contestés ? Envisagez-vous de contester les décisions de la Commission ?
Plus exactement, comment ces (nouvelles) lignes directrices s’appliquent-elles concrètement pour Charleroi ? Quelles sont leurs conséquences sur le bon développement de l’aéroport et sur le soutien que la Région peut lui offrir pour l’avenir ? Et comment réagissez-vous à ces nouvelles consignes européennes ?
D’ailleurs, tant pour ce nouveau cadre général que pour le cas particulier des aides octroyées depuis avril et qui seraient litigieuses, est-il encore possible de dialoguer avec la Commission européenne et de l’amener à changer d’analyse ?
On sait qu’il est parfois bon d’aller « plaider sa cause » et d’expliquer directement son dossier auprès du commissaire responsable –celui-ci n’étant pas toujours au fait de tous les détails de chaque cas particulier qui pourraient justifier une certaine souplesse dans l’application desdites lignes directrices. Avez-vous pu déjà rencontrer Joaquin Almunia (qui reste le commissaire en charge jusqu’à l’intronisation officielle de la nouvelle commission « Juncker ») ? Si oui, quel a été la teneur de vos échanges ? A-t-il été réceptif à vos arguments ?
Peut-on imaginer que la nouvelle Commission (qui devrait très prochainement entrer en fonction) puisse réexaminer ces questions et éventuellement revoir certaines décisions de l’actuel commissaire Almunia « en affaires courantes » ? Comptez-vous avoir rapidement un contact avec son successeur ?
Bref, pouvez-vous nous faire un « état des lieux » général de ce dossier certes complexe mais ô combien important pour le développement économique carolo mais aussi de l’ensemble de la Wallonie ?
Je vous remercie d’avance pour vos réponses et vos précisions.
Réponse du Ministre C. DI ANTONIO
Madame la Députée, je vais d'abord répondre à la dernière partie de votre interrogation. Nous avons bien
rencontré, M. le Ministre-Président Magnette et moi, M. Almunia il y a deux semaines. Nous avons eu l'occasion de discuter, notamment de ce dossier-ci.
En ce qui concerne la décision et son caractère définitif, elle est ouverte à recours, donc la BSCA, la SOWAER ou la Région pourrait décider de s'opposer à la proposition faite, à la décision prise. En l'occurrence, ce recours serait aussi traité par le successeur, par la nouvelle Commission et par les équipes. Aucune décision n'est prise actuellement, puisque l'on a seulement reçu le texte de la décision vendredi. Ces 160 pages sont actuellement étudiées par nos juristes.
On peut se réjouir qu'après 13 années de procédure, la Commission ait pris sa décision dans le cadre de
l'enquête qu'elle mène depuis 2001 sur les relations commerciales entre l'aéroport de Charleroi et la
compagnie aérienne Ryanair. Pour mémoire, l'origine du débat est la manière dont certains ont vu l'arrivée de Ryanair à Charleroi. C'est ce qui a généré ce dossier au départ ; les prix pratiqués par Ryanair ont été jugés excessivement bas par les concurrents qui se sont plaints à l'Europe, puis la procédure a commencé. Nous étions toujours dans cette dynamique depuis 2001.
Ce qui était important, c'était d'avoir une décision, c'était le sens de notre rencontre avec le commissaire.
Nous voulions avoir une décision pour savoir sur quel pied danser. Une procédure qui dure 13 ans, après un certain moment, perd toute crédibilité. Quelle est cette décision ?
Le commissaire a reconnu que l'aide accordée à l'aéroport de Charleroi lui avait permis de se développer
sensiblement depuis 2002, ce qui a significativement contribué au développement économique de la Région.
C'est la première chose importante qu'il fallait s'entendre dire, puisque certains avaient lié cette aide uniquement à la manière de soutenir une compagnie aérienne, Ryanair en l'occurrence. Il y avait bien un projet économique derrière tout cela, cela a été reconnu par la Commission.
La Commission estime que les aides accordées avant l'entrée en vigueur des lignes directrices sont
admissibles, et valident la politique aéroportuaire wallonne menée jusque-là. Pour rappel, les lignes directrices datent du 4 avril 2014, elles sont applicables depuis cette date. La Commission considère que, depuis la date d'entrée en vigueur de cette nouvelle ligne directrice, la redevance de la concession pour
l'utilisation de l'infrastructure appartenant à la SOWAER et payée par BSCA devrait être augmentée afin de refléter un juste prix de marché.
Entre le 4 avril 2014 et ce 1er octobre, le montant de l'insuffisance de redevance calculé par la Commission,
donc de redevance payée par la BSCA à la SOWAER, serait de six millions d'euros. C'est de là que vient le
chiffre de six millions d'euros. Il s'agit d'un million d'euros par mois. Les calculs de la Commission arrivent
à la conclusion que l'ensemble de l'infrastructure mise à disposition grâce à des fonds publics tels que la Région, ou encore SOWAER – on connaît le dispositif – fait que, dorénavant, BSCA doit payer un million d'euros de redevance par mois pour l'utiliser, tout en respectant les lignes directrices, les nouvelles lignes dites directrices, d'avril 2014.
J'ai reçu, via la Représentation permanente, la décision de la Commission in extenso, ce vendredi 3 octobre, soit les 160 pages. J'ai immédiatement chargé mes services d'analyser le contenu et les implications de
cette décision qui a également été communiquée à la SOWAER, propriétaire des infrastructures, et à la
société de gestion de l'aéroport de Charleroi. L'analyse de la Commission est basée sur un développement
complexe, qui détermine l'aide pour le futur en considérant que la valeur actualisée nette des flux financiers depuis la convention initiale de mise à disposition de l'infrastructure de 2002, doit être nulle en considérant une rémunération normale d'un opérateur privé.
Autrement dit, on peut faire ce que l'on veut, on peut faire de nouveaux investissements, il n'y a pas de limite à cela, mais il faudra toujours que le paiement de la société de gestion envers celui qui a fait l'investissement corresponde à ce qu'un opérateur privé aurait demandé.
Il faut payer une location à son juste prix. Si le propriétaire investit là-bas, il faut que l'utilisateur contribue à due concurrence. C'est cela le calcul qui est fait par la Commission, c'est de dire par rapport à tout ce qui a été investi précédemment, le prix normal de location et redevance qui doit être payé pour utiliser cette infrastructure, nous les calculons, elles sont d'autant.
Dans le calcul qui est fait aujourd'hui est déjà comptabilisé, par exemple, l'allongement de la piste. Pas de souci pour mettre en oeuvre cet allongement de piste, puisqu'il est déjà inclus dans les mises à disposition,
telles que calculées.
On doit étudier le détail, mais c'est la lecture, relativement vérifiée, que l'on peut déjà en faire, aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, je tiens à rappeler que le développement de Brussels South Charleroi Airport a permis la création de quelque 3 000 emplois directs et indirects, c'est un dossier important que l'on suivra de près. Son succès est, certes, lié à la politique aéroportuaire, tout parti confondu, parce que tout le monde s'est succédé sur cette compétence depuis 2000, mais aussi au dynamisme du management, au dynamisme des équipes, et il ne faudrait pas qu'une décision de ce type freine ce développement. Je n'ai pas l'impression que l'on en a, mais, effectivement, le montage, la manière dont on gère les choses devront, sans doute, évoluer à la lumière de ces décisions.
Cela n'est pas catastrophique, mais il faut vraiment appliquer cela à chacun des niveaux. Cela implique-t-il
pour la Région ? Cela implique-t-il pour la SOWAER, pour les sociétés de gestion ? Clairement, cela augmente les dépenses des sociétés de gestion, puisqu'elles vont devoir contribuer, au juste niveau de prix, au paiement de l'infrastructure qu'elles utilisent. Il y a sans doute une réflexion similaire qui est en cours dans les sociétés de gestion, mais je les rencontre dans les tout prochains jours.
Réplique de la Députée V. SALVI
Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Ministre, le fait de reconnaître justement ces investissements de la Région comme étant des investissements qui ont permis le développement économique, pas seulement de la Ville de Charleroi, mais de l'ensemble de son arrondissement et de la Région wallonne, était un des éléments importants. On comprend, de par votre explication, que, sans remettre en cause les investissements des années précédentes, il faut, néanmoins, en tenir compte, et que le million tient compte de l'ensemble de ces investissements.
Maintenant, la question est de savoir comment, au niveau de l'aéroport et de l'ensemble de ces invests, ils
vont réagir à cette augmentation de dépenses mensuelles. Je suppose que cela aura aussi, demain, des
conséquences éventuelles – je n'en sais rien – par rapport aux actuels actionnaires, et donc que là aussi, le
dossier risque de rebondir dans les prochains mois.
Je vous remercie de ces éléments d'explication, parce que je dois bien vous avouer qu'à travers la presse,
la lecture n'est pas toujours extrêmement aisée, d'où l'intérêt de nos commissions et de vos réponses en
direct.
Je ne manquerai pas, une fois que l'analyse plus précise aura été réalisée et que des contacts approfondis
auront pu être pris avec les différentes sociétés de gestion, de revenir sur ce dossier, puisque l'ensemble
des opérateurs qui agissent au niveau des aéroports, qu'ils soient de Charleroi ou de Liège sont extrêmement attentifs à ce dossier et étaient en attente de vos réponses de cet après-midi.